Date de parution Le 19 Janvier 2021.
Article de Bastien GIRARD VP- Expert des questions spatiales Européennes et Internationales.
Le 18 Mars 2019, le gouvernement socialiste d’Antonio Costa créait la plus récente agence spatiale du vieux-continent : l’Agence spatiale du Portugal. Avec sa stratégie Portugal Space 2030, le pays s’est engagé pour une plus grande structuration de sa gouvernance spatiale. Nouvel entrant, il importe une vision prédéterminée par les nouveaux acteurs du spatial aux États-Unis et en Europe, et le vocable qui lui est propre : devenir un acteur du NewSpace, développer son industrie nationale, investir dans le marché aval de l’observation de la Terre, dans l’utilisation des données spatiales et la recherche dans les nano et microsatellites. Le pays importe également les marqueurs de la puissance spatiale traditionnelle en investissant dans le projet d’installation d’une base de lancement dans l’archipel des Açores. Cette dynamique spatiale portugaise se répercute dans les activités de l’Agence spatiale européenne (ESA), avec laquelle Portugal Space coopère étroitement, et bientôt celles de l’Union européenne. Le gouvernement affiche la volonté d’utiliser sa présidence du Conseil de l’UE – de Janvier à Juin 2021– comme amplificateur de l’investissement dans un NewSpace européen qui bénéficie par ailleurs à l’écosystème spatial lusitanien émergeant. Les écarts entre les visions politiques nationales du spatial deviennent chaque jour plus saillants en Europe. L’Italie, le Luxembourg et le Royaume-Uni décident unilatéralement de signer les accords Artemis qui établissent une série de principes communs traduits des traités de l’espace et qui sanctuarisent un peu plus le droit à l’exploitation et à l’utilisation des ressources spatiales. Les postulants-incarnateurs de l’Europe du spatial se montrent absents voire ouvertement sceptiques. L’ESA se contente pour le moment de collaborations industrielles pour le Moon Gateway. Pour sa part, l’Union européenne n’a pas concrétisé l’évocation de son ancienne commissaire au Marché intérieur, Elżbieta Bieńkowska, d’engager l’Union dans l’exploration spatiale.
Toutefois, cette Europe dispersée ne doit pas cacher les mobilisations des États au sein des arènes de l’Europe du spatial afin d’orienter la construction d’une position commune en accord avec leurs intérêts. Il en découle des résultats très concrets, même s’il est trop tôt pour mesurer leur profondeur. En 2020, l’ESA a soutenu la construction du Centre d’innovation européen pour les ressources spatiales au Luxembourg et le programme Horizon 2020 de l’Union a alloué plusieurs millions d’euros aux technologies de robotique spatiale.
Cependant, cette dispersion des États-membres face aux accords Artemis met brutalement en lumière ce que l’ambassadeur Éric Lebédel et l’Institut européen de politique spatiale soulignaient au fond comme un vide de la diplomatie spatiale européenne et un investissement insuffisant de ces fora pour parler « au nom de » l’Europe. Loin de l’idéal d’une Europe unie dans le spatial, la discrétion d’un souverain européen face aux empoignes des représentants des États-membres nous renvoie à ces caricatures des monarques du Congrès de Vienne qui, épées tirées, se répartissaient les territoires de l’Europe post-napoléonienne. Sauf que depuis 1815, l’Europe s’est provincialisée et n’est plus, si elle le fut alors, le centre du monde.
Si les échelles du national à l’intergouvernemental et au supranational s’entremêlent et ont pu voir advenir des formes de coopérations européennes très étroites, à l’image des magnifiques programmes Solar Orbiter et Copernicus, une interrogation demeure sur la permanence – voire l’exacerbation – de la primauté nationale donnée à l’Europe du spatial, alors que celle-ci tente dans le même temps de se positionner face à des nations-continents tels que les États-Unis ou la Chine. Qu’en est-il de la dynamique de construction d’une souveraineté européenne dans l’espace ? Ou, pour reprendre l’expression de la philosophe Céline Spector dans une pièce de doctrine récente, quel pole représente l’État-nation dans le difficile équilibre du « faisceau de compétences » de la puissance publique spatiale en Europe ?
Sans réécrire l’histoire de l’Europe du spatial, je reviendrai brièvement sur la genèse de cette Europe et son empreinte dans l’institution de l’ESA. Ensuite, j’analyserai l’idée nationale dans l’Europe du spatiale comme une dynamique, objet de flux et reflux parfois simultanés, selon la période et le pays dans lequel elle se déploie. Enfin, j’inviterai le lecteur à voir plus loin, pour ne pas manquer par une grille de lecture trop nationale ce qu’est l’Europe du spatial.
L’EUROPE DU SPATIAL, NÉE DES NATIONS
D’abord, il est important de rappeler que l’Europe du spatial n’est pas historiquement antinomique de certaines formes de chauvinismes politiques et industriels. Elle en est même consubstantielle. C’est dans la tension entre l’engagement des uns contre les autres tout autant que des uns avec les autres qu’a été codée l’ADN de l’Europe du spatial, les pratiques, les règles et institutions qui se sont stabilisées jusqu’à nos jours.
Beaucoup de rĂ©cits, portĂ©s en premier lieu par les institutions de l’Europe du spatial, sont tentĂ©s d’enjoliver l’histoire de la coopĂ©ration spatiale europĂ©enne. Elle serait survenue sans heurt, de la fabuleuse initiative de hĂ©ros au-delĂ des Alpes, du Rhin et de la Manche. Les nations se seraient effacĂ©es ipso facto par l’impĂ©ratif d’une autonomie ou d’un rattrapage vis-Ă -vis des alliĂ©s Ă©tats-uniens. Pourtant, la description faite par l’historien canadien John Krige donne une idĂ©e plus juste des vellĂ©itĂ©s politiques et industrielles nationales Ă l’origine de l’Europe du spatial. Elle Ă©claire notamment l’ambiguĂŻtĂ© des relations entre le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne qui ont participĂ© Ă la construction de l’Europe du spatial depuis les annĂ©es 1950, et notamment Ă l’histoire chaotique du Centre europĂ©en pour la construction de lanceurs d’engins.
En engageant son pays dans la coopération spatiale européenne via le programme Europa, le Premier ministre britannique MacMillan souhaitait à la fois obtenir un soutien à la R&D de ses programmes de missiles Blue Streak et Back Night, et diminuer la dépendance de son pays envers les États-Unis. Il rencontrait sur ce sujet la volonté de De Gaulle qui souhaitait cultiver la capacité balistique de la France, menant des réalisations notables comme la fusée Diamant, et construire l’Europe de la troisième voix. Dans cette ligne, l’ouvrage de l’historien britannique Allan Milward trouve un écho particulier. Il répond en partie à notre interrogation sur l’étonnant investissement des États-nations dans la construction européenne. Il montre que les États-nations dévastés par la guerre ont investi l’Europe comme plan de sauvetage, démarche volontaire et intéressée pour se reconstruire eux-mêmes, en répondant souvent à des priorités socio-économiques hétérogènes.  De ce point de vue, nations au pluriel et Europe du spatial semblent liées et indissociables.
Aussi, les antagonismes géopolitiques et industriels ont très tôt amené à des frictions dans la coopération. Le Royaume-Uni, qui estimait que le projet bénéficiait excessivement aux industriels français et allemands, a abandonné son rôle majeur dans ces projets en avril 1969.  Au sein même des arènes nationales, ces projets ont fait débat entre des pôles pro-nationaux et pro-européens, à l’image du Ministre des finances de l’époque, l’europhile Valery Giscard d’Estaing, qui n’a été disposé à soutenir le projet LIIIS – Ariane – qu’à la condition de plus l’européaniser.
L’ESA, L’INSTITUTION DE L’EUROPE DES NATIONS SPATIALES
Ces dimensions indivisibles de coopération et de compétition nationales en Europe se sont institutionnalisées. Elles ont été acceptées dans un système de relations sociales, pérennisées dans le temps puis formalisées dans l’organisation la plus célèbre de l’Europe du spatial contemporaine, l’ESA. Avant d’aller plus loin, il n’est peut-être pas inutile de rappeler quelques éléments constitutifs de cette agence.
La convention de l’ESA a été signée en mai 1975, au lendemain de l’échec du projet Europa et du nouveau compromis intergouvernemental entre les soutiens à LIIIS, à Spacelab et à MAROTS, respectivement demandés par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. À l’heure où les notions de supranationalité et d’identité allaient encore moins de soi qu’aujourd’hui, la convention de l’ESA était la mise en œuvre pragmatique d’un projet de relance de l’Europe du spatial. Dotée d’une personnalité juridique à partir de sa ratification en octobre 1980, l’ESA est aujourd’hui une organisation intergouvernementale de vingt-deux États-membres. Ceux-ci restent souverains en tant qu’ils conservent le droit d’investir des programmes nationaux, de légiférer dans l’espace et d’établir des accords avec des États tiers. Ils disposent chacun d’un siège et d’une voix en son Conseil et ils votent à l’unanimité pour les affaires générales de l’agence et les programmes auxquels ils participent.
Mais l’ESA est aussi une administration de près de 2200 individus. Cette administration ne peut analytiquement être considérée comme une entité neutre, homogène et froidement exécutante. Elle représente une forme de pouvoir beaucoup plus riche et passionnante – une bureaucratie au sens wébérien, caractérisée par l’impersonnalité, la hiérarchie et le contrôle par des agents non-élus – et se retrouve elle-même traversée par des dynamiques de pouvoir. Par exemple, les États-membres construisent des stratégies d’influence dans cette administration. Selon un responsable du secteur spatial français, l’Italie enverrait presque autant de personnels que l’Allemagne alors que les contributions budgétaires de ces deux pays sont très différentes.
Surtout, c’est le mécanisme de juste retour qui est au cœur du sensible équilibre institutionnel entre coopération et compétition nationales en Europe. Présenté à l’Article 4 de la convention de l’ESA, le juste retour est un instrument privilégié de l’expression des ambitions nationales, anciennes et nouvelles, dans le secteur spatial européen. Des observateurs de l’interministérielle de Séville Space19+ ont pu voir dans les engagements financiers la marque du passage de l’ESA sous bannière française à l’ESA sous bannière allemande. Je soulignerais surtout la volonté de l’Allemagne de voir ses retours industriels nationaux accrus et de réduire l’écart de compétence industrielle avec son partenaire outre-rhin, gagnant par la même occasion un poids plus important dans la décision de l’Europe du spatial. Enfin, et au-delà des dynamiques de domination internes au moteur franco-allemand, le juste retour permet aussi de créer et de développer de nouvelles nations spatiales européennes, à l’image de l’Irlande, du Luxembourg ou du Portugal.
Comme le relevait Arnaud Saint-Martin et ses collègues des études des sciences et technologies, les agences spatiales sont en lutte pour la « maîtrise de l’ensemble du territoire des activités spatiales, c’est-à -dire l’exercice d’un contrôle légitime sur ce qu’il vaut la peine de développer et de prioriser ». En tant qu’agence intergouvernementale, l’ESA se distingue par le fait qu’elle soit également traversée par des luttes nationales de maîtrise du territoire des activités spatiales. Par exemple, la France contrôle 60% des investissements et retours afférents pour la compétitivité d’Ariane 6 quand l’Allemagne occupe près de 85% des investissements dans le programme de préparation des futurs lanceurs. Pour sa part, l’Italie a investi 80% du programme de réutilisation en orbite Space Rider. Dans le cadre intergouvernemental, chaque État-membre œuvre ainsi pour orienter les activités spatiales de l’ESA. Il reste toutefois inégalement capable d’emmener avec lui tous ses partenaires et d’orienter en profondeur, et pour longtemps, les développements de l’agence. Cette capacité d’influence est contrainte par les intérêts, les ressources et le jeu des autres États.
Enfin, la transition à la direction générale de l’ESA a été l’un des spectacles récents les plus visibles des joutes nationales au sein de l’agence, pour la compétition des postes de l’Europe du spatial. Les États-membres ont souvent proposé leur héraut et non plusieurs candidats proposant des visions européennes et contradictoires. Il serait faux de réduire la nomination de Josef Aschbacher à une préséance nationale tant celle-ci sanctionne un profil éminemment international, administratif et allégé de la suspicion d’un favoritisme pour sa nation d’origine. Cependant, cette nomination sonne moins la fin d’une chasse gardée franco-allemande que le résultat d’un compromis géopolitique où aucun des grands États n’apparait perdant par la victoire de l’autre. Elle résulte également d’un souci très intergouvernemental d’alternance nationale de la présidence. De plus, la question de la nationalité de son successeur à la tête de la direction des programmes d’observation de la Terre et de l’ESRIN est déjà posée au regard de la cartographie des nationalités parmi ses homologues directeurs.
LA DYNAMIQUE DES NATIONS SPATIALES EUROPÉENNES
Une fois bien établie la permanence des logiques nationales dans les institutions de l’Europe du spatial, il est nécessaire d’évaluer leur dynamique dans le temps et l’espace. La nation restant un concept abstrait et subjectif, il n’est pas facile d’en extraire des indicateurs qui permettent de quantifier des dynamiques. D’autant que les prismes médiatiques renforcent souvent une grille de lecture nationale et que les institutions internationales tendent à cacher ces subjectivités. Des indicateurs peuvent toutefois être envisagés, même s’ils restent parcellaires et doivent être maniés avec précaution. C’est notamment le cas de la macroéconomie budgétaire, des investissements financiers relatifs des États européens dans le spatial européen, selon qu’ils investissent plus dans un programme national ou dans les programmes intergouvernementaux de l’ESA et d’Eumetsat.
Les quinze dernières années ont vu la diminution de la part des investissements nationaux vis-à -vis de l’ensemble des investissements civils en Europe. D’une part, cette tendance s’explique par l’augmentation relative des contributions aux institutions intergouvernementales par trois des plus grandes puissances spatiales du continent, la France, l’Italie et la Belgique.  D’autre part, elle s’explique par l’engagement croissant de puissances plus modestes, comme l’Autriche, la Roumanie ou la Finlande dans le jeu intergouvernemental européen. Cette tendance coïncide avec un accroissement général des dépenses spatiales civiles en Europe. Elles étaient 30% supérieures en 2016-2020 comparées à 2006-2010 !
Sources : Budgets nationaux, ESA et EUMETSAT, estimations Euroconsult (GSP2020).
Sur la période 2016-2020, la France, la Lituanie et la Slovénie ont été les pays les plus chauvins en tant qu’ils ont dédié, malgré des contributions à l’ESA et Eumetsat sans précédent, la moitié ou plus de leurs dépenses spatiales civiles à leur programme national : respectivement 50%, 58% et 60% en moyenne. Sans faire d’inventaire exhaustif, il est possible de citer quelques programmes de ces États. Aussi investie dans des coopérations extra-européennes comme la mission lunaire Chang’e-6, le CNES a engagé une multitude de petites missions civiles dont Taranis. L’agence a également lancé d’ambitieux programmes d’observation de la Terre – Constellation Optique en 3D (CO3D) – et de développement technologique, à l’image d’ANGELS pour le développement d’un secteur national des nanosatellites. Avec un niveau d’investissement bien moindre, la Lituanie investit dans les technologies spatiales au niveau national. Cela s’est concrétisé avec la construction et le lancement d’un cubesat, LituanicaSAT-2 en 2017. De son côté, la Slovénie a investi les technologies spatiales et l’observation de la Terre. Elle a notamment financé la construction d’infrastructures terrestres d’observation de l’espace et le microsatellite d’imagerie Nemo HD en 2020.
Toutefois, l’évolution des masses budgétaires depuis 2006 rend visible des dynamiques nationales plus intéressantes. Dans le détail, certaines tendances confirment l’avènement de la préférence nationale au sein de plusieurs pays d’Europe. Le Luxembourg et la République Tchèque sont les pays dont l’augmentation des contributions nationales vis-à -vis des contributions intergouvernementales est la plus forte. Le premier cas sous-tend l’essor récent du pays dans le secteur spatial commercial. Il est conduit par l’initiative SpaceResources.lu, la création de l’Agence spatiale luxembourgeoise et du fond d’investissement LuxImpulse ainsi que la participation publique à de nombreux fonds public-privé pour les technologies spatiales et leur commercialisation. Le second souligne les efforts accordés par le projet-cadre tchèque pour les tierces parties (C3PFP) pour financer le développement de technologies spatiales.
Depuis 2006, il faut également noter la tendance du retour au national d’autres États dont la force budgétaire marque en profondeur le paysage de l’Europe du spatial, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. L’Allemagne développe sa première mission hyperspectrale, EnMap, et investit massivement pour les technologies au service du spatial, à l’image du quantique. Depuis la création de son agence spatiale UKSA, le Royaume-Uni a de plus en plus investi dans son programme civil de science et d’exploration, de lanceurs et de technologies. Ses investissements nationaux sont également sur le point de bondir avec l’achat à $500 millions de parts dans OneWeb au côté du groupe indien Bharti.
Enfin, la période post-2020 pourrait annoncer un retour au national bien plus franc. Au moins 18 États européens investiront vraisemblablement plus au niveau national de 2021 à 2025 qu’entre 2016 et 2020. La tendance européenne générale à l’intégration observée depuis quinze ans devrait ainsi connaitre une vraie rupture, avec des engagements intergouvernementaux vis-à -vis des engagements nationaux plus faibles qu’ils ne l’étaient au début du siècle.
Finalement, les indicateurs budgétaires ne permettent pas de répondre à la question de l’intention européenne des gouvernements d’Europe. L’investissement massif de l’Allemagne dans le budget de l’ESA à l’interministérielle de Séville en 2019 ne peut-il pas être interprété comme relevant d’une volonté d’augmenter ses retours industriels tout autant que de faire avancer l’Europe du spatial, notamment dans l’exploration humaine ? Si peu réaliste à ce jour, l’évocation du Secrétaire d’État Clément Beaune de « proclamer que le premier homme sur Mars sera européen » afin de créer un rêve commun à tous les citoyens du continent sera peut-être mieux servie par les investissements concrets, et aussi intéressés soient-ils, de l’Allemagne et du Luxembourg en la matière.
De plus, les variations relatives des investissements nationaux dans l’ESA ont des significations variables, selon les masses budgétaires initiales engagées des États et l’ancienneté des contributeurs dans le secteur. Par exemple, les « petits » pays investis récemment dans le milieu auront tendance à privilégier l’approche intergouvernementale, qui leur sert souvent de tremplin de rattrapage ou de soutien au développement d’expertise de niche, à l’image des États de l’Europe orientale. L’Estonie a développé avec l’ESA la mission de démonstration technologique ESTCube, qui implique notamment le système de propulsion interplanétaire par voile solaire électrique, E-sail. Une première dans le monde.
AU-DELĂ€ DU PRISME NATIONAL
Pour un certain nombre de pays d’Europe comme le Luxembourg ou la République-Tchèque, il y a bien eu une tendance à la renationalisation de la politique spatiale à partir d’une Europe qui donnait déjà toute sa place à l’État-nation.  Aujourd’hui balbutiante, cette tendance devrait se généraliser dans les prochaines années. Pour reprendre les termes de notre question initiale, la souveraineté européenne dans le spatial se construira moins, demain, dans des projets d’union que des projets de désunion. Cette forme de souveraineté renforce la thèse d’un « faisceau de compétences » de la puissance publique spatiale en Europe de plus en plus écartelé entre un pôle national triomphant et un pôle européen qui peine à s’affirmer mais se développe tout de même à sa manière.
Ne nous y trompons pas. Dans un contexte de retour des rivalités de puissances et de la course à l’espace, cette grille de lecture nationale est remise à l’ordre du jour et s’affirme comme un enjeu stratégique de pouvoir. En tant que catégorisation, elle est utilisée dans les luttes entre les acteurs du secteur pour imposer leur vision du monde et attribuer les responsabilités des échecs et succès de l’Europe du spatial. En effet, le prisme national peut à la fois servir de référentiel positif de soutien matériel et symbolique à « son » territoire et négatif pour dénoncer les voisins et concurrents qui ne se plient pas au jeu de la coopération européenne.
Or, de même qu’un spectrophotomètre ne révèle pas plus qu’une fraction du spectre électromagnétique, utiliser des mots comme « nation », « intérêt national » ou « puissance » peut bien rendre saillant les dynamiques d’une Europe fragmentée en nations, cela invisibilise une partie de ce qui « est » et évolue comme européen.  En effet, les arènes et les instruments de l’Europe du spatial comme l’ESA sont aussi le lieu d’élaboration et de construction normative des intérêts nationaux dans le spatial. Pour le dire autrement, sans cette Europe que nous cherchons, pas d’intérêt spatial national, ou en tous cas, pas les mêmes. Pas d’Ariane « française », d’agence spatiale portugaise, de micro-lanceur « allemand », ni de mini-navette réutilisable « italienne ».
De plus, en réduisant tout ce qui n’était pas une contribution à l’ESA et à Eumetsat à de la politique « égoïstement » nationale, nous manquons une part importante des coopérations. Si difficile à mesurer, l’Europe du spatial se réalise dans un espace très dense de relations bilatérales, à l’image des satellites Microcarbe et Merlin pour le suivi des émissions de dioxyde de carbone et de méthane. Le programme labellisé comme national du CNES, réalisé via de multiples collaborations internationales, montre qu’il n’est pas évident de distinguer une politique spatiale nationale autonome, quand bien même l’État ait conservé une certaine centralité dans sa définition. Enfin, l’Europe du spatial se réalise également de plus en plus dans un cadre dit « supranational » mais où les dynamiques nationales demeurent, tel que l’Union européenne pour ses programmes-phares EGNOS-Galileo et Copernicus, bientôt complétés d’autres segments tels que le système de connectivité spatiale sécurisée promu par le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton.
https://ptspace.pt/space-2030/
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